Gasly et Ocon, des faux-frères normands pour porter Renault Alpine
Quatrième au classement constructeurs en 2022, l’écurie française Alpine présente pour la nouvelle saison de Formule 1 un duo de pilotes 100 % normands : Esteban Ocon et Pierre Gasly. Les deux derniers vainqueurs tricolores en date sur un Grand Prix se côtoient depuis les courses de karting de leur enfance. Mais la coopération entre les deux est loin d’être acquise, tant leur relation confine à la rivalité davantage qu’à l’amitié.
Cocorico ! Trente ans que la Formule 1 n’avait pas vu ça. Esteban Ocon et Pierre Gasly vont constituer un duo de pilotes 100 % français pour la firme Renault Alpine lors de la saison 2023 de F1 qui débute dimanche 5 mars à Bahreïn.
Le duo formé par les deux derniers Français vainqueurs d’un Grand Prix promet de faire des étincelles. Les deux hommes se connaissent depuis leur enfance en Normandie et les pistes de karting, mais ont toujours entretenu une relation compliquée, teintée de rivalité.
« Il y avait déjà très peu de chances que l’on arrive en Formule 1 et que l’on soit maintenant dans la même équipe, l’une des plus grandes équipes qui existe, c’est une grande chance pour nous », savourait Esteban Ocon lors d’un entretien croisé à l’AFP avec son compatriote début décembre. Et de promettre : « Il y a une belle histoire à écrire ensemble pour monter au plus haut ».
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Un trio 100 % normand
Une belle histoire qui ressemblait à une évidence pour Renault Alpine au moment de chercher un coéquipier à Esteban Ocon. Pour la marque normande, née à Dieppe sur les bords de la Manche, la solution est toute trouvée alors qu’un autre Normand, Pierre Gasly, éblouit la F1 de son talent depuis plusieurs saisons.
À l’égard de son nouveau duo, Otmar Szafnauer, patron de l’écurie Alpine, ne tarit pas d’éloges : « S’ils sont là, c’est parce qu’ils sont jeunes, très expérimentés, rapides et ont remporté chacun un Grand Prix, donc ils savent comment gagner ».
En effet, les deux hommes multiplient les points communs. Ils ont vu le jour en 1996 à sept mois et à 50 km d’écart en Normandie. Ils sont également les deux derniers vainqueurs français d’un Grand Prix : à Monza (Italie) pour Pierre Gasly en 2020, à Budapest (Hongrie) pour Esteban Ocon en 2021. Leur expérience dans la discipline reine automobile est également similaire : 103 Grand prix disputés pour le premier, 106 pour le second.
Les deux pilotes sont habitués à grappiller des points derrière les mastodontes Red Bull, Mercedes et Ferrari. Parfait pour Renault qui espère être capable de les concurrencer d’ici 100 courses. La moyenne des places en qualification des deux Normands montre qu’ils ont également l’habitude de démarrer au coude-à-coude : 10,98 pour Gasly, 11,25 pour Ocon.
À croire que les deux gamins de Haute-Normandie sont destinés à se suivre comme ils le faisaient déjà en karting, sur le circuit d’Anneville-Ambourville, près de Rouen. C’est même dans un kart d’Esteban que Pierre a fait ses premiers tours de piste, comme les deux pilotes aiment le raconter. Leurs parents sympathisent vite autour de la passion dévorante de leur progéniture. Là encore, une anecdote revient souvent : les papas, Laurent et Jean-Jacques, en train de bricoler dans la neige les kartings de leurs fils car ces derniers étaient les seuls assez fous pour aller rouler par ce temps.
Ça vous fait quoi de revenir ici ?
« On a eu l’habitude de venir ici pendant des années. Ce sont nos premières années de compétition d’entraînement. Je pense qu’on a fait des milliers de tours sur cette piste. C’est là où on a vraiment débuté.
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— Pierre Gasly Fan Page Fr (@PG10_FanactuFr) March 1, 2023
La brouille inévitable ?
Mais la bromance ne dure pas. Dans un milieu aussi sélectif que la F1 où il n’y a de la place que pour 20 pilotes chaque année, les tensions ont vite fait de survenir, surtout que l’argent est le nerf de la guerre pour faire carrière. Les deux gamins n’ont que 13 ans quand le recrutement de Pierre Gasly par la Fédération française des sports auto (FFSA) cristallise les rancœurs entre la famille Gasly et Ocon. Les derniers accusent les premiers d’avoir bénéficié de favoritisme.
« Les Gasly avaient sans doute plus les codes pour attirer les sponsors », analyse a posteriori une ex-responsable de la FFSA auprès de l’AFP. Il faut dire que le fossé est aussi social entre les deux familles : d’un côté, les Gasly de Bois-Guillaume, quartier bourgeois de Rouen, chefs de petites entreprises. De l’autre, les Ocon, mécaniciens à Beaubray, minuscule village de l’Eure. Normandie des villes contre Normandie des champs.
Malgré l’absence de soutien de la Fédération, Esteban Ocon rebondit vite et rejoint Gravity, une structure de management de jeunes pilotes qui l’a pris sous son aile à 14 ans. Les deux jeunes pilotes suivent chacun leur propre voie : repérés par des écuries de F1, Gasly a rejoint la filière Red Bull fin 2013, Ocon le giron Mercedes en 2015.
Les deux Normands partagent également une trajectoire loin d’être linéaire dans le monde de la course automobile. Pierre Gasly attendra longtemps d’avoir sa chance dans la catégorie-reine, obligé même de s’exiler un an en Super Formula au Japon pour la saison 2017. Il se fait finalement sa place au sein de Toro Rosso – devenu Alpha-Tauri–, l’équipe satellite de Red Bull. Sa promotion dans l’écurie-mère se passe mal, faute de résultat.
Esteban Ocon, lui, fait ses débuts en F1 dès 2016 chez Manor Racing puis passe deux ans chez Force India. Mais sa carrière connaît un gros coup d’arrêt quand l’écurie est rachetée par Racing Point, qui lui préfère Lance Stroll, le fils du propriétaire. Il doit ronger son frein une année en tant que pilote de réserve Mercedes avant de rejoindre Renault.
Relations fraîches
Se retrouver en concurrence sur les circuits n’apaise pas les relations entre les faux frères Normands. Les piques se distillent, plus ou moins frontalement.
Pour le frontal, la communication radio des essais du Grand Prix d’Autriche reste dans les mémoires : « Quel p… d’idiot ! C’est toujours la même histoire avec lui », s’était ainsi exclamé Gasly, gêné par Ocon. Mais il est à noter que dans un sport où les conflits entre pilotes aboutissent souvent à des collisions spectaculaires, ce n’est jamais arrivé entre les deux Normands.
Pour les vexations subtiles, les exemples sont légion. Les fans de Gasly se rappellent qu’Ocon fut l’un des rares à ne pas féliciter leur champion après sa victoire à Monza. “Il l’a fait en privé”, désamorce “Petit Pierre”. C’est donc également en privé que Gasly félicitera son ex-ami après son propre triomphe à Budapest.
Au moment de remplacer Fernando Alonso chez Renault, Esteban Ocon n’était pas un partisan de Pierre Gasly : “J’ai dit aux patrons que ma préférence irait à Mick Schumacher. [… ], c’est un bon ami à moi”, expliquait le pilote Renault. Pierre Gasly, lui, est plus proche du quartet Charles Leclerc, Lando Norris et George Russel.
Dans ces conditions, la paire reste aujourd’hui discrète sur sa relation personnelle depuis l’annonce, en septembre, de la signature de Gasly. Si ces dernières semaines « ont été intenses », reconnaît Ocon, « tout ça se passe bien », assure-t-il.
Même son de cloche du côté de leur direction : « Leur collaboration a été un sans-faute jusqu’à présent », se félicite Otmar Szafnauer. « Ils sont tous les deux très professionnels et veulent ce qu’il y a de mieux pour l’équipe ».
Leur rivalité sur la piste pourrait même, selon Ocon, être bénéfique : « Ce serait bien que l’on se tire la bourre pendant la saison et que l’on puisse faire ‘performer’ la voiture du mieux possible ». « C’est comme cela que l’on va élever le niveau de l’équipe », avance-t-il à l’AFP.
Reste à voir si ces beaux éléments de langage résisteront aux conditions réelles. En course, il n’y a souvent plus de coéquipiers, plus d’amis et au vu du passé et du passif entre Pierre Gasly et Esteban Ocon, les ingrédients semblent réunis pour faire les choux gras de la future saison de la série documentaire de Netflix « Drive to survive ».