Tyren Johnson, l’artisan de la montée en Pro A de l’ADA Blois



C’est un colosse mélancolique qui nous accueille, mercredi 17 juin au matin, dans un immeuble résidentiel proche de la cathédrale Saint-Louis, à Blois. Avant de s’envoler aux Etats-Unis pour la trêve estivale, Tyren Johnson va fêter une nouvelle fois le triomphe de son équipe, cette fois-ci au château de Chambord, en présence d’élus et de sponsors : « C’est vraiment nouveau pour moi de célébrer une victoire. J’ai été MVP [meilleur joueur de la saison] à deux reprises et je n’avais pas exhibé le trophée car j’avais trop honte de rester en Pro B. »
Après avoir été recalée en 2018 à cause d’un centre de formation non conforme puis stoppée par le Covid-19 deux ans plus tard alors qu’elle était en tête du championnat de Pro B, l’Abeille des Aydes (ADA) Blois Basket a décroché son billet pour la Betclic Elite (la première division de basket) samedi 11 juin en playoffs contre Antibes. En grande partie grâce à Tyren Johnson et ses shoots légendaires.
« Je ne connais aucun Américain qui soit resté cinq années dans un club de Pro B. Les mois où il n’a pas été là à cause d’une blessure au genou, nous étions vraiment dans le dur, en difficulté. C’est un homme à la fois essentiel et très attachant, confie Paul Seignolle, le président de l’ADA Blois Basket qui ignore si Tyren Johnson, 33 ans, rempilera. Mais mon souhait est qu’il reste. »
Tyren Johnson a grandi à Vacherie, une petite ville de Louisiane sur le Mississippi. Sa mère l’a élevé seule ainsi que ses huit frères et sœurs. Adulte, il s’est rapproché de son père, vétéran du Vietnam. « Il a fait homme de ménage. Maintenant, il vit essentiellement des aides fédérales. Vacherie est l’un des endroits les plus pauvres des Etats-Unis. Elle comptait trois plantations d’esclaves. Aujourd’hui, les habitants ont conservé une mentalité d’esclave, transmise par les générations précédentes. Ils restent ici et acceptent leur destin, la pauvreté, la violence… Là-bas, c’est la jungle, mec », dit-il. Les fusillades sur fond de règlements de compte y sont monnaie courante.
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S’adresser aux jeunes Noirs américains
Sur son temps libre, Tyren Johnson se fait graphiste et créateur d’instrus (la partie instrumentale) pour artistes hip-hop qui le sollicitent par le biais de son site marchand. C’est aussi un YouTubeur acharné. Sa chaîne est remplie de vidéos qu’il filme le matin et édite jusqu’à tard le soir pour raconter, en anglais, son quotidien de basketteur à l’étranger. Il y distille des leçons de développement personnel, sous la forme de « Morning Walk », des balades matinales sur des parkings de zones commerciales sans charme, aux abords du motel de la ville où l’ADA Blois Basket doit jouer.
« Dans ma communauté, ils sont surpris que je me promène en toute sécurité, iPhone à bout de bras, dans un endroit que je ne connais pas », raconte-t-il. Sur l’une d’elles, Tyren Johnson se filme en balade à Paris, sur son trente-et-un. Il vient au Gumbo Yaya, un restaurant de poulet frit et de gaufres qui lui rappelle les saveurs de sa Louisiane.
Tyren Johnson s’adresse en priorité aux jeunes Noirs américains aux horizons limités. Et par extension à tous les amateurs de basket qui doutent de leurs capacités : « Moi, j’ai toujours été talentueux. Je n’ai jamais douté de ma vie car j’ai été riche très tôt. A 11 ans, en tondant les pelouses, en nettoyant jusqu’à 15 voitures par jour à 20 dollars chacune, je pouvais gagner 2 000 dollars par mois. C’est quand les gens pensent que je ne suis pas assez fort que je ressens l’échec. »
Yaya, son épouse belgo-togolaise, rencontrée lors d’un précédent contrat à Alost, en Flandre, est son pilier. « C’est auprès d’elle qu’il trouve équilibre et stabilité », reconnaît Paul Seignolle, le président du club. Tyren Johnson se confie : « Quand tu vis dans un autre pays, tu réalises qui tient à toi. Dans mon cas, en douze années de basket professionnel à l’étranger, individu de ma famille n’est jamais venu me voir, quand bien même je proposais de payer le voyage. Seul un ami a fait l’effort et c’était un dealer… En fait, ça me brise. »
« Devenir un coach à temps plein »
Il craint son retour estival au pays. « J’ai acheté une maison à Houston, Texas, car dès que je rentre à la maison, en Louisiane, les gens viennent me demander de l’argent. Tous. Bien sûr, de bon cœur, j’ai offert des uniformes pour l’école, des tenues complètes pour l’équipe de football locale, mais là, j’ai presque peur de répondre quand on me dit bonjour. La dernière fois, une ancienne camarade de lycée, au bout de quelques secondes, m’a réclamé 600 dollars pour acheter un billet d’avion. Chez moi, on me demande de donner. Ailleurs, on me demande d’enseigner. »
Tyren Johnson fait notamment référence à ces camps de basket lucratifs pour adolescents américains, auquel il participe chaque été. A ses abonnés YouTube, il mijote des vidéos savantes dans lesquelles il analyse en détail le jeu des vedettes de la NBA. « C’est un investissement. Avec ce travail, je veux prouver que je saurai un jour devenir un coach à temps plein. »
En attendant, l’entraîneur de l’ADA Blois Basket, Mickaël Hay, entend donner au joueur une nouvelle dimension, peut-être pas à la hauteur des ambitions de l’intéressé : « S’il reste, il aura un rôle primordial par rapport au contingent étranger qui arrivera. Il connaît le club parfaitement et aura un rôle de facilitateur, sur et en dehors du terrain. Mais il aura moins de temps de jeu », prévient le coach blésois.